Lutte contre le gaspillage alimentaire : quels enjeux et objectifs, en particulier au sein du secteur santé ?
Avril 2021
Selon une étude réalisée par l'ADEME en 2016(1), le gaspillage alimentaire s'élève chaque année à 10 millions de tonnes de produits, soit 150 kg par personne. Il s'observe tout au long de la chaîne alimentaire : de la production (32 %) à la consommation (33 %), en passant par la transformation (21 %) et la distribution (14 %). Avec un impact carbone de 15,3 millions de tonnes équivalent CO2, il est en outre responsable de 3 % des émissions de gaz à effets. Diverses lois ont été adoptées afin de lutter contre. La loi EGalim(2) enjoint les opérateurs de la restauration collective, dont le nombre de repas préparés est supérieur à trois mille par jour, à engager une démarche de lutte contre le gaspillage alimentaire à l'issue d'un diagnostic préalable. Il s'agit notamment d'estimer les quantités de denrées alimentaires gaspillées et leur coût, ainsi que les approvisionnements en produits issus de l'agriculture biologique. La loi AGEC(3) prévoit quant à elle que les secteurs de la distribution alimentaire et de la restauration collective réduisent d'ici 2025 leur gaspillage alimentaire de 50 % par rapport à 2015. Afin de valoriser les initiatives vertueuses, cette loi prévoit également la création d'un label national « anti-gaspillage alimentaire » garantissant le respect, par ses titulaires, d'un référentiel relatif à la réduction du gaspillage alimentaire. Ce dernier reste encore à définir et sera décliné en fonction des enjeux de chaque secteur d'activité.
Zoom sur les établissements de santé
Toujours selon l'ADEME(4), dans la restauration collective, le taux de gaspillage et de pertes moyen se situe autour de 20 %, ce qui représente 120 g de produits jetés par convive et par repas. Une moyenne qui cache des disparités fortes selon le type d'établissement, puisque les pertes sont de 160 g dans les établissements de santé, de 110 g dans les établissements scolaires et de 95 g dans les entreprises. C'est donc dans les établissements de santé que le gaspillage est le plus important. Il est en partie imputable à la perte de goût et d'appétit des malades et des personnes âgées hospitalisées dans les EHPAD(4). Cette perte de goût et d'appétit est par ailleurs la cause de problèmes de malnutrition. Lutter contre la malnutrition serait donc un levier afin de lutter contre le gaspillage alimentaire. Cela passe par le développement des aspects nutritionnels et du plaisir dans l'assiette, avec des recettes à la fois intéressantes sur le plan nutritionnel et suscitant l'envie.
Un projet pilote a été mené en ce sens au sein de deux EHPAD de la région PACA. Il visait à évaluer l'impact de plusieurs actions anti-gaspillage portant sur la préparation des repas avec des produits locaux, de meilleure qualité, et une attention particulière portée à la présentation des plats. Il recommande de concentrer les efforts sur le plaisir de la table (goût et texture des aliments, présentation des plats, ambiance du repas) et sur la communication avec les résidents (fiches de goût individuelles à remplir dès leur arrivée, commission-repas les impliquant dans la réalisation des menus, ateliers thématiques sur le thème de la nutrition, etc.).
Le gaspillage en restauration collective s'expliquerait également en partie par la mauvaise adaptation des portions aux convives. Elle cite l'exemple d'un EHPAD dans lequel les portions sont adaptées à ce que les personnes mangent réellement, grâce à l'établissement quotidien d'un tableau de commande tenant compte des préférences, allergies, textures, etc., où tous les fruits sont préparés (épluchés et coupés) et donc davantage consommés. Le personnel de service adapte la portion grâce au service à l'assiette, ce qui permet de lutter contre la dénutrition et le gaspillage.
INTERVIEW
Marion Leroux, diététicienne de la société Restonis, nous parle du projet de chariots connectés sur lequel elle travaille en partenariat avec la société DMCC, dont l'enjeu est de lutter contre le gaspillage alimentaire et contre la dénutrition.
Quel est votre parcours ? Comment travaillez-vous en partenariat avec DMCC ?
Mon parcours est très simple, j'ai réalisé un BTS diététique et une année de licence supplémentaire en gestion de projet. Ce qui m'aide beaucoup sur le projet des chariots connectés est que j'ai également travaillé pour un éditeur de logiciels dans la gestion de commandes et de production repas.
Nous avons répondu à un appel à projet de l'ARS Grand Est avec Restonis, la Maison des Vignes d'Adef Résidences et les chariots connectés de la société DMCC, et nous avons commencé à travailler avec M. Deronne, co-fondateur de DMCC, sur cette expérimentation tripartite.
À quoi servent les chariots connectés et comment fonctionnent-ils ?
Actuellement, nous disposons de deux chariots connectés : le chariot de service mesure les quantités données aux résidents ; le chariot de débarrassage calcule ce que chacun a consommé en fonction des quantités jetées et mesure les apports nutritionnels spontanés en protéines, en féculents et en légumes. Les laitages ne sont à ce jour pas encore comptabilisés. Ces informations vont nous être très utiles, car elles vont nous permettre de modifier les menus, les quantités servies aux résidents (l'objectif étant qu'ils mangent ce qu'il y a dans leur assiette et qu'il n'y ait plus d'aliments jetés), et même les recettes, en y intégrant par exemple des enrichissements. Si nous adaptons au plus près les quantités données, cela permettra automatiquement de réduire le gaspillage alimentaire, et ainsi de répondre aux exigences de la loi EGalim. Par ailleurs, les économies réalisées grâce à l'achat de moins de matières premières pourront être réinvesties dans l'achat de produits de meilleure qualité. On peut donc dire que les chariots connectés fonctionnement en cercle vertueux !
Comment allez-vous adapter la qualité nutritionnelle des repas ?
Nous travaillons à la catégorisation des patients selon leur profil alimentaire : petits mangeurs, mangeurs classiques et gros mangeurs. Cela va nous permettre d'adapter les menus et de déceler les personnes en dénutrition (modérée ou sévère), afin d'engager des actions de prévention. Les quantités destinées aux petits mangeurs seront réduites, mais enrichies en densifiant leurs apports énergétiques et protéiques. Les repas correctement consommés par les personnes ayant un appétit classique resteront tels quels. Enfin, les quantités destinées aux bons mangeurs seront augmentées. Nous travaillons pour cela à l'élaboration de cahiers de grammages.
Où ces chariots connectés sont-ils testés ?
Pour le moment, ils sont en test à la La Maison des Vignes de Mazéville du groupe Adef Résidences, près de Nancy (54). Le projet y a été lancé en janvier 2021. La première phase (janvier-février) consistait à voir si les équipes (de restauration et de soins) arrivaient à manipuler les chariots, notamment au niveau des instructions et des commandes vocales. Nous voulions également voir si ça leur prenait plus de temps. Nous leur avons demandé de ne pas changer leurs habitudes et de ne pas prendre en compte les grammages et autres recommandations indiquées par les chariots.
La première étape du projet s'apparente donc à un audit de bonnes pratiques en matière de service, respect des grammages, régimes et textures. Nous travaillons actuellement à corriger quelques phénomènes observés lors de cette phase de test, visant à améliorer les pratiques de service de Restonis et la technologie de DMCC.
Pensez-vous qu'un tel service pourrait être généralisé ?
Il pourrait l'être dans les EHPAD ainsi que les établissements médicaux sociaux et scolaires par exemple. Restonis, Adef Résidences et DMCc souhaiteraient l'étendre à plusieurs autres établissements. Dans les hôpitaux, ce serait également possible, mais sous un format différent, car ces derniers n'ont pas le même système de distribution. Il leur faudrait du matériel supplémentaire et une organisation différente.
(1)https://www.ademe.fr/etat-lieux-masses-gaspillages-alimentaires-gestion-differentes-etapes-chaine-alimentaire
(2)Loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.
(3)Loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire
(4)https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/infographie-gaspillage-alimentaire-restau-co_011317.pdf
(5)Établissements d’hébergements pour les personnes âgées dépendantes